FIA WEC – 24 Heures du Mans
Benoît Tréluyer et ses camarades Marcel Fässler et André Lotterer sortent vainqueurs d’une des éditions les plus disputées de l’Histoire des 24 Heures du Mans. Après 2011 et 2012, le trio brandit pour la troisième fois l’imposant trophée décerné par l’Automobile Club de l’Ouest (ACO). Retour en trois temps sur trois grands moments de leur odyssée mancelle.
Mes trois moments-clés de l’avant-course
Les débuts contrariés
« Dès les premiers essais, notre nouvelle R18 e-tron quattro nous a procuré une sensation de confiance, de confort de conduite, et de performance. Puis, nous avons dû faire face à ce que j’appellerais une remise en question, voire un rappel à l’ordre, après Silverstone. Nous sommes arrivés en Angleterre pour la première manche du Championnat du Monde d’Endurance FIA sur la lancée de ces superbes tests et d’un travail de développement intense. Las, rien n’a voulu s’accorder. Réglages, stratégie, nous avons connu les mêmes soucis à Spa-Francorchamps. Ces deux premières courses se sont révélées être l’une des clés de voûte de notre victoire au Mans puisqu’elles nous ont permis d’identifier nos problèmes et de les résoudre. C’est au moment de l’ultime répétition avant les 24 Heures que je suis vraiment entré dans le sujet. »
La confiance retrouvée
« Après mon accident de Silverstone et le résultat moyen de Spa, j’ai également traversé une période de remise en question personnelle. Je me suis demandé pourquoi je ne « sentais » plus cette voiture alors que je l’avais adorée lors des essais initiaux. Est-ce que le problème venait de moi ou bien des réglages ? Avec Marcel [Fässler] nous avons poussé la réflexion vraiment loin pour tenter de comprendre. Grâce à ce véritable travail d’équipe, j’ai retrouvé confiance et suis ressorti des derniers essais bien plus fort ! Après l’épreuve de Spa, honnêtement, je ne donnais pas cher de nos chances. Le travail effectué dans la foulée ainsi que la Journée Test officielle du Mans m’ont permis d’aborder les 24 Heures dans les meilleures conditions. Je suis parvenu à me reconstruire, et l’écurie aussi. C’est ensemble que nous avons redressé la barre. »
La petite musique
« Je suis donc arrivé au Mans avec un gros capital confiance et l’alchimie avec André [Lotterer] et Marcel s’est créée aussitôt, comme en 2011 et 2012. Nous avons effectué tous les trajets ensemble, et les avons passés à nous marrer, à chercher une musique, un tempo qui allait nous accompagner durant toute la semaine.
En 2011 et 2012, nous avions trouvé une chanson qui nous donnait la pêche le matin, qui nous faisait débuter la journée de bonne humeur. Ce « truc à nous », en 2013, nous nous étions presque forcés à le créer. Nous ne le sentions pas, et cela n’a pas marché au final. L’alchimie ne s’était pas faite. Cette année, nous avons trouvé cette petite musique un matin, en allant au circuit. Elle ne nous a plus quittés. Nous l’avons partagée avec les mécanos qui l’ont adoptée de suite. Le tout sans le prévoir, sans forcer les choses ! »
Mes trois moments-clés de la course
Le tour du circuit avec nos ingénieurs
« Un moment de partage plus que de découverte ! Ingénieurs de piste, ingénieurs assistants, ingénieurs de renfort, nous avons fait le tour en toute décontraction, en plaisantant. Bien sûr, on travaille toujours sérieusement, mais dans la bonne humeur. C’est à ce moment que nous avons arrêté nos stratégies pour la semaine, que nous avons décidé de notre approche. L’accord a été unanime et immédiat. »
La dernière qualif’
« Nous avons failli tomber dans le piège, et dévier de notre trajectoire. La performance était bien au rendez-vous, et la confiance – ou plutôt l’excès de confiance – a commencé à nous gagner. À la fin de la deuxième séance de qualifications, la voiture sœur n°3 nous a collé une seconde et la tentation – par fierté – était alors grande d’entrer en piste. Notre ingénieur Leena [Gade, en charge de l’Audi n°2] l’a bien senti et nous a rappelé que nous devions rester fidèles aux options choisies.
Nous avons failli nous écarter du sujet une seconde fois, juste avant la dernière session d’essais chronométrés où je devais encore effectuer mes tours de nuit réglementaires pour me qualifier. Pendant un moment, on a évoqué la possibilité de chausser un train de pneus neufs et de mettre peu d’essence pour signer un temps, mais j’ai préféré poursuivre le travail sur les réglages. J’avais le sentiment qu’il y avait encore des progrès à faire dans ce domaine. Ce chrono, nous étions prêts à le réaliser en toute fin de séance avec André, mais nous sommes tombés sur une zone à vitesse réduite [« Slow Zone »] en raison d’une barrière de sécurité endommagée. À cet instant, une légère frustration nous a alors gagnés car nous voulions vraiment faire étalage de notre vitesse et plaisir aux spectateurs. »
Les yeux des mécanos
« La force, la rapidité et la motivation que nous avons lues dans les yeux des mécaniciens lors du changement de turbo fut le tournant de la course. Puis, Marcel et André sont allés au charbon ! Je suis vert de ne pas avoir pris le volant lors de ces heures décisives. Motivé par les mécanos, Marcel a repris la piste et est revenu à un tour et demi de la Porsche au prix d’une attaque de tous les instants. Voyant cela, André l’a relayé plus motivé que jamais et est parti le couteau entre les dents. La force de notre équipage, elle vient de nos mécanos, de notre équipe ! Ce sont eux les déclencheurs ! »
Mes trois émotions-clés de la semaine
Larmes de peur
« Je ne pensais pas être un jour aussi anéanti par un accident. J’aime beaucoup Loïc Duval, mais je n’imaginais pas me sentir aussi proche de lui. J’ai très mal vécu sa sortie de piste, et les minutes qui ont suivi. Son papa se trouvait à l’hospitalité Audi avec Mélanie, mon épouse, lorsque l’accident a eu lieu. Il ne savait pas de quel pilote il s’agissait, et c’est Mélanie qui lui a annoncé avec beaucoup de précaution que c’était Loïc. Je l’ai vu arriver dans le stand pour obtenir des nouvelles, et je suis aussitôt venu vers lui pour le rassurer. Cependant, nous ne disposions encore d’aucune information. J’ai pris sur moi. Il fallait absolument que je reste fort pour lui remonter le moral. J’ai pris la radio de Loïc pour avoir des nouvelles et appris qu’il parlait, que ça allait, qu’il serait conduit au centre médical pour des examens approfondis.
Allan [McNish] s’est montré extraordinaire avec le père de Loïc et l’a complètement pris en charge. Il est resté avec lui, l’a emmené voir son fils au centre médical. À ce moment, bien qu’entouré des mécanos, je me suis retrouvé terriblement seul. J’ai pensé à Gaëlle, son épouse, et à ses petits. J’ai demandé à André de l’appeler car, dans ces moments là, je suis complètement nul, je m’effondre. André a trouvé la force, et les mots justes. Puis, les nouvelles sont devenues très rassurantes. Sauf que je n’étais pas dans mon assiette et l’écurie l’a remarqué. Leena m’a dit de prendre mon temps, André allait me remplacer. Je l’ai remerciée pour son attention, mais je lui ai répondu que je devais surmonter tout cela et que la meilleure façon restait de faire mon boulot ! En deux minutes, j’ai retrouvé la force qui m’avait abandonné, et suis remonté dans la voiture… »
Larmes de rage
« Notre rythme était bon. Nous étions rapides, mais conservions une marge de sécurité. Nous ne lâchions pas grand chose à la Toyota de tête, et pensions nous retrouver en bonne position le lendemain matin. Dans la nuit, nous avons senti que quelque chose était en train de se produire. Une espèce de sérénité s’est installée. Après l’abandon de la n°7, nous avions trois tours d’avance, et gérions la course. Et puis, d’un seul coup, le « KO », le turbo qui flanche. L’incompréhension. J’ai alors cru revivre le cauchemar de 2013 avec l’alternateur qui casse alors que nous avions tout sous contrôle. À ce moment, j’ai failli baisser les bras. J’étais effondré. Je suis allé me coucher sans avoir la boule au ventre, persuadé que c’était fini pour nous.
Au réveil, nouvelle surprise. André était en piste et attaquait comme un malade, tandis que moi, casqué, j’étais prêt à le relayer. Nous étions tous suspendus aux lèvres des hommes de Michelin concernant la bonne tenue des gommes. Devait-il passer par les stands ou bien poursuivre ? Après trois arrêts reportés, j’ai fini par monter dans la voiture avec pour mission d’aller au bout. Là, tu te dis que tout peut arriver : un mec qui se loupe et qui t’embarque, ce genre de choses. Il m’a fallu quelques tours pour me détendre mais, après, ce fut le pied intégral. La voiture était super performante. Dans le dernier tour, j’ai alors repensé à tout ce que j’avais vécu dans la semaine. »
Larmes de joie
« Comme dans le dernier relais d’André, la caméra embarquée ne fonctionnait plus, je pensais que personne ne pouvait me voir. Je me disais que même si j’allais chialer dans l’ultime tour, personne n’en saurait rien… J’évoluais dans une espèce de plénitude. J’aurais voulu hurler façon Sebastian Vettel après une victoire, mais je ne pouvais pas. J’étais ému, simplement ému. J’ai pensé à Michel Raffaelli qui a toujours été avec moi au cours de ces 24 Heures et à qui je dédie cette victoire. J’ai voulu retenir mes larmes mais, dès que j’ai ouvert la bouche pour remercier l’écurie, je n’ai pas pu. J’entrecoupais mes phrases de longues pauses pour essayer de me contrôler. À un moment, je me suis dit : « Tant pis, comme personne ne me voit de toute manière, je chiale… » Sauf que la caméra avait été réparée entre temps !
Lorsque je suis arrivé dans la voie des stands et que j’ai vu André et Marcel, je me suis dit que c’étaient eux qui auraient dû couvrir le tour d’honneur tant ils sont allés au charbon après la casse du turbo. Ils sont montés sur la voiture, et m’ont donné des coups sur le casque. J’ai vu le Docteur Ullrich grimper également, et tous m’ont fait signe d’avancer. Sauf que ces voitures ne sont pas conçues pour rouler doucement. C’est bête mais je me suis demandé comment j’allais faire pour ne pas tous les envoyer valdinguer. Tu passes vraiment par plein d’émotions dans cette allée des stands. Les mécanos, les commissaires, toutes les écuries sont là et t’applaudissent. C’est un sentiment énorme et tu te dis que c’est vraiment génial de faire du sport. J’avais juste envie de sortir de la voiture pour prendre tout le monde dans mes bras.
En 2011, lors de notre première victoire, nous avions vécu quelque chose de tellement extraordinaire que je pensais qu’il serait impossible de revivre un tel moment. En 2012, c’était un succès historique, le premier d’un véhicule hybride, mais il ne s’était rien passé de vraiment marquant. J’avais été ravi de gagner bien sûr, mais cela n’avait pas été pareil puisque nous avions lutté contre l’autre Audi. Cette année, les émotions de 2011 sont revenues. Avec André, Marcel et tous les mécanos, savoir que nous allons encore pouvoir goûter à de telles sensations nous motive encore plus. J’ai eu un doute au cours des deux dernières années, mais je ne l’ai plus désormais. Oui, on peut vivre ces émotions fortes plusieurs fois, et nous n’allons pas nous en priver… »
À peine remis des frissons de la victoire dans la Sarthe, Benoît se rend ce week-end (21/22 juin) à Spa-Francorchamps pour participer à la manche du championnat de France FFSA GT organisée sur le circuit ardennais. Le désormais triple vainqueur du Mans en profitera pour préparer au mieux les 24 Heures de Spa où il fera ses grands débuts à la fin du mois prochain (26/27 juillet).
Tréluyer retrouvera ensuite les joutes du Championnat du Monde d’Endurance FIA à l’occasion des 6 Heures du Circuit des Amériques, quatrième épreuve de la saison, qui se dérouleront à Austin aux États-Unis du 18 au 20 septembre. L’événement sera diffusé en direct sur Eurosport, Motors TV et le site officiel du WEC FIA..